Face aux brouillages GPS massifs, armées et industriels misent sur des capteurs quantiques pour guider avions et drones sans satellite, même en zones de conflit.
TL;DR : L’essentiel
- Depuis 2022, une vaste campagne d’interférences ciblant le GPS perturbe des milliers de vols, faisant peser un risque d’incident majeur et accélérant la recherche de solutions de navigation plus résilientes et autonomes.
- Des industriels déploient de nouveaux satellites GPS dotés de signaux renforcés, tandis que des ingénieurs testent des alternatives fondées sur les réseaux cellulaires, l’analyse visuelle et désormais des capteurs quantiques extrêmement sensibles.
- Des programmes militaires américains soutiennent la mise au point de gyroscopes, accélérateurs et horloges atomiques quantiques, ainsi que des magnétomètres de nouvelle génération, pour équiper avions, drones, sous-marins et véhicules terrestres.
Les attaques de brouillage GPS, qui consistent à envoyer de puissants signaux radio pour saturer ou tromper les récepteurs embarqués, ne sont plus théoriques. Un avion militaire transportant la ministre de la Défense d’un pays européen vers une base en Lituanie a vu son système de positionnement perturbé, sans conséquence cette fois. Mais cet épisode n’est qu’un cas parmi des milliers de vols affectés depuis le lancement d’une campagne d’interférences attribuée à un acteur étatique depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022. Pour les autorités civiles comme militaires, cette fragilité structurelle des signaux satellites pose un risque systémique pour l’aviation et la logistique, et oblige à repenser en profondeur la manière de se repérer dans un ciel saturé de brouillage et de faux signaux.
Au-delà des mises à niveau du GPS existant, l’un des axes majeurs explorés est la navigation dite inertielle, qui consiste à calculer une position à partir du point de départ, de la vitesse, de la direction et de la durée de déplacement. Sur le principe, la méthode est simple : un système mesure les accélérations et les rotations du véhicule, puis en déduit sa trajectoire. En pratique, les minuscules erreurs de mesure s’additionnent et se cumulent avec le temps, jusqu’à produire des écarts de plusieurs dizaines de kilomètres après quelques dizaines d’heures. Les capteurs peu coûteux, comme ceux intégrés dans les smartphones, dérivent encore plus rapidement, au point de devenir inutilisables pour l’aviation commerciale ou les missions prolongées.

Quand les atomes deviennent boussole, compteur et horloge
Pour dépasser ces limites, plusieurs entreprises conçoivent une nouvelle génération de capteurs inertiels fondés sur la physique quantique, c’est-à-dire le comportement ultra-précis de particules comme les atomes ou les électrons. Là où un capteur classique mesure une rotation de manière mécanique ou électronique, un gyroscope quantique exploite l’onde associée à un faisceau d’atomes. Une entreprise américaine a ainsi développé des gyroscopes et des accélérateurs basés sur une technique dite d’interférométrie atomique : un flux d’atomes de rubidium est scindé en deux trajectoires par des impulsions laser, puis recombiné. La différence de phase entre les deux chemins, mesurée par un détecteur, révèle avec une grande précision si le véhicule a tourné ou accéléré durant ce laps de temps.
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Selon MIT Technology Review, ces capteurs ont déjà été testés sur un avion spécialement modifié sur un site militaire britannique, puis dans une version plus avancée fonctionnant en flux continu d’atomes. Ce fonctionnement en continu évite les périodes de « silence » entre deux séries de mesures, ce qui permet un suivi de trajectoire sans interruption, même dans des manœuvres complexes. Pour les forces armées, disposer d’un système autonome capable de guider un appareil pendant des heures sans accès au GPS, tout en limitant la dérive, représenterait un changement stratégique majeur, notamment dans les zones couvertes par des brouilleurs puissants.
La même entreprise développe aussi une horloge atomique compacte, installable dans une baie d’équipements standard, qui repose sur des lasers infrarouges accordés à une fréquence très précise. Ces lasers excitent les électrons d’atomes de rubidium, qui émettent ensuite des photons à un rythme parfaitement régulier. Une telle horloge, qui ne perdrait qu’une seconde sur environ deux millions d’années selon le responsable du projet, fournit une mesure du temps extrêmement stable. En navigation, le temps est une donnée aussi cruciale que la distance ou la direction : connaître l’instant exact avec une précision extrême permet de calculer le trajet parcouru en croisant ce temps avec la vitesse estimée. L’horloge a déjà été mise à l’épreuve sur des vols au Royaume-Uni, à bord de véhicules terrestres de l’armée américaine au Nouveau-Mexique, et récemment sur un drone sous-marin, environnement particulièrement hostile aux équipements délicats.
Pour rendre ces systèmes réellement opérationnels, l’enjeu est désormais de sortir des laboratoires et de miniaturiser les dispositifs. Les capteurs quantiques reposent aujourd’hui sur des lasers et des montages optiques sensibles aux vibrations, aux chocs et aux variations de température. Les équipes misent sur des sources laser intégrées sur micro-puces pour rendre ces horloges et gyroscopes plus robustes, moins volumineux et capables de résister aux contraintes sévères des avions de combat, des frégates ou des véhicules blindés. Les premiers essais en conditions réelles montrent que cette transition vers le terrain est enclenchée, même si la généralisation opérationnelle demandera encore plusieurs cycles d’industrialisation.
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Cartographier la Terre avec les champs magnétiques et le logiciel
L’autonomie de navigation sans satellite ne repose pas uniquement sur les capteurs inertiels. D’autres laboratoires et industriels s’attaquent à un autre gisement d’information : les champs magnétiques et gravitationnels de la Terre. Ces champs ne sont pas parfaitement uniformes ; ils présentent des anomalies locales, liées à la composition du sol, aux structures géologiques ou à la présence de masses métalliques. En mesurant très finement ces variations et en les comparant à des cartes préalablement établies, un véhicule peut estimer sa position, un peu comme un randonneur reconnaît un paysage à partir de repères.
Pour mesurer ces champs, des chercheurs misent sur un matériau particulier, un type de diamant appelé « diamant à lacunes d’azote », dans lequel certains atomes de carbone sont remplacés par de l’azote et d’autres retirés comme le rapporte l’article du MIT. Les électrons piégés dans ces défauts cristallins sont extrêmement sensibles au champ magnétique ambiant. En les excitant avec un laser et en observant la lumière qu’ils réémettent, il est possible de déterminer à la fois l’intensité et la direction du champ magnétique terrestre. Cette double information pourrait offrir un avantage par rapport aux magnétomètres classiques, qui se contentent souvent de mesurer la force du champ. Une équipe australienne a déjà mené des vols d’essai avec un tel magnétomètre, et prévoit de poursuivre les campagnes de tests pour transformer ces prototypes en systèmes utilisables sur le terrain.
Reste un obstacle majeur : le bruit généré par les véhicules eux-mêmes. La structure métallique d’un avion, ses câbles électriques, ses moteurs et ses systèmes électroniques produisent des perturbations magnétiques qui peuvent être cent, voire mille fois plus fortes que le signal géophysique recherché. Pour y faire face, une entreprise australienne spécialisée dans les technologies quantiques développe une approche fondée sur le logiciel. Après avoir fait voler un petit avion équipé de capteurs magnétiques avancés, ses ingénieurs ont utilisé des algorithmes d’apprentissage automatique pour distinguer le signal utile du bruit parasite. Ils affirment ainsi avoir pu suivre la position de l’avion jusqu’à 94 fois plus précisément qu’un système inertiel stratégique classique, dans une étude pré-publiée au printemps.
L’idée est donc maintenant de créer des systèmes de navigation « durcis par le logiciel », capables de compenser en temps réel les imperfections des capteurs quantiques, les perturbations du véhicule et les conditions environnementales extrêmes. Dans un contexte où le brouillage et l’usurpation des signaux GPS deviennent des cyber-armes à part entière, la combinaison de capteurs quantiques, de cartes magnétiques et gravitationnelles détaillées et de traitements numériques avancés pourrait ouvrir la voie à une navigation indépendante, difficile à perturber et adaptée aux conflits de demain.
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